As du volant -VS- panne d’essence
Voici comment nous avons découvert le kid de la forêt.
Imaginez. Vous êtes au fond du fond de la Mongolie. Vous venez d’arriver dans une famille nomade qui a pris son camp d’hiver. Et un jeune kazakh d’une dizaine d’années au maximum vient à votre rencontre, et vous lance avec sérieux « hello, do you want to go in the forest and harvest wood with me ? » avec un accent digne de la BBC. Avouez que, après plusieurs semaines où l’anglais n’a été qu’un vague souvenir théorique, ça fait marrant.
Le jeune garçon en question a appris quelques phrases à l’école, et n’hésite pas à s’en servir. Et bien, on accepte forcément ! Et nous voilà, Chrystel et moi, à l’assaut de la forêt. Le kid de la forêt maîtrise la chose à fond : il monte son cheval (à cru, oubliez toute autre méthode) et nous montre ici un nid, là une plante toxique, ici un buisson de baies délicieuses, etc. Dans la forêt, on sent qu’il est dans son élément, il la connaît comme sa poche, et nous montre comment on fait pour repérer les branches mortes (pas question de couper un arbre, on prend ce que la nature a donné), il a même emporté deux sacs en toile grossière pour mettre du petit bois. Hey, mais attendez, il y a une forêt ici ?!
Oui, nous sommes dans une vallée qui bénéficie d’une sorte de micro-climat assez magique, et ici il y a de l’eau et des arbres. C’est assez rare pour être signalé ! Une partie des arbres est même entourée d’une clôture, pour éviter que les animaux y aillent et donc pour les protéger. Le bois est rare ici !
D’ailleurs, dans la suite de notre périple dans l’Altaï, nous allons continuer à monter, et au-delà des 2600 m d’altitude, il n’y a plus rien qui pousse à part quelques herbes rases, ce qui n’empêche bien sûr aucunement d’avoir des paysages splendides, comme ce torrent glaciaire tout calme qui traverse un petit vallon paisible.
L’aventure devient d’autant plus étonnante que, si vous vous souvenez bien, nous avons à cet instant précis un avantage majeur : un as du volant. Et un gros souci : la réserve d’essence est au plus bas.
Alors, si vous avez joué au jeu du « 1000 bornes », vous savez que l’as du volant ne vous protège pas de la panne d’essence n’est-ce pas ?
Alors comment fait-on me demanderez-vous ? Eh bien comme tout le monde, on va à la station essence la plus proche… Qui est de l’autre côté de ce col, dans un endroit improbable, où il n’y a ni l’eau ni l’électricité. Mais vous savez qu’une pompe à essence, et une pompe en général, ça tourne à l’électricité ! Et vous croyez que ça va arrêter un Mongol qui a besoin de carburant ? Bien sûr que non ! Du coup, on ouvre la pompe, et on place une manivelle. Et c’est parti, on pompe à la main ! Bienvenue en 1920 !
Comme je pense que certains ne savent pas comment ça marche, j’a pris une petite vidéo de l’action. Il faut dire que vous ne verrez pas ça tous les jours !
Remarquez le décor de la scène, c’est assez inoui de trouver du carburant ici. Nous sommes à 2800 m d’altitude, le premier village est à 5h de piste en 4×4. Et d’ailleurs c’est ce qu’on fait, puisqu’on continue de monter, on passe un nouveau col enneigé à côté d’un petit lac dans une dépression naturelle. Il y a un peu de vent, ça caille !
Heureusement, la piste finit par redescendre et nous arrivons à une petite maison en bois, qui fait aussi boutique et où on s’incruste gentiment (le terme incruste est trompeur, ça se fait comme ça ici), on mange sur place et on en profite pour faire du shopping. Enfin, façon de parler, on achète un petit briquet-lampe-LED et un snikers et une paire de boucles d’oreilles pour Audrey, pour la somme totale de 7500₮ ce qui fait moins de 3€. Et tout ça au bout du monde, oui madame ! Donc nous voilà, dans ce petit magasin-resto au milieu de nulle part. C’est chaleureux, on mange bien, et la dame est sympa comme tout.
Et quand enfin nous arrivons à la yourte des nomades où nous allons passer la soirée, nous sommes accueillis par un kido sympa. Ils sont, lui et sa famille, tellement contents d’avoir des touristes, qu’ils décident de sacrifier une chèvre pour nous : si vous n’en avez jamais mangé, vous devriez essayer. Le rite musulman est respecté, on égorge l’animal, puis ensuite on le vide de son sang.
Ensuite, il est préparé exactement comme dans l’article interdit aux -12 d’il y a quelques jours. L’endroit est plus bas en altitude (environ 2000 m) et la neige laisse la place aux rochers. C’est un milieu dur, sec, et pourtant des gens géniaux y habitent. On passe encore un super moment, avec un souvenir amusé : pendant une demi-heure, la TV (branchée sur une batterie de camion rechargée par panneau solaire la journée, le tout relié à une parabole neuve Made in China) débite un série-fleuve indienne sous-titrée en kazakh que la famille regarde à peine en rigolant. Je crois bien que c’est la première fois qu’une série nullissime indienne m’a fait rire.